La « racaille » – Partie 2

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(…) Ridha passe toute l’après-midi à cogiter. Doit-il l’appeler? Mais il ne sait pas parler en français. Qu’est-ce qu’il peut bien lui dire ? Il pense même à faire appel à son cousin Ayman appelé El 9array (le studieux). Il veut lui demander de l’appeler à sa place, mais il se ravise. Et si elle plaît à Ayman et qu’il s’accapare de sa nouvelle chérie ? Hors de question !

Il sort alors et se dirige vers la petite papeterie du coin qui fait aussi foi de librairie du quartier. Il s’agit d’une petite boutique où s’entassent sans aucun ordre de vieux livres, des cahiers au papier presque rêche et une panoplie de crayons et stylos de la marque Bic ou Reynolds.

– Sââlam El Hajj (bonjour le pèlerin) !, vous n’auriez pas par hasard un manuel pour apprendre le français ?, crie Ridha.
El Hajj lève les yeux de sa caisse, le regarde incrédule pendant un moment puis lâche un rire étouffé.
– Toi? Toi Ridha veux apprendre le français ? Le ciel nous est tombé sur la tête alors, ironise le vendeur.
– C’est pour ma petite soeur Nadia, répond Ridha gêné, elle doit réviser avant la rentrée.
– Ah voilà, ça c’est sensé !
El Hajj se dirige vers une pile de livres au fond du magasin, sort un exemplaire poussiéreux qu’il essuie avec sa main, et le met sous les yeux de Ridha.
– 25 dinars coûte ce livre. Il est excellent ! Mon petit-fils de 3 ans a appris avec le français en 2 semaines et maintenant il tchatche sur Facebook avec des gwerra (étrangers).

Habitué à l’exagération du vieux, il ne hausse même pas les sourcils et se contente de fouiller ses poches. Il sort 8 dinars.
– Je n’ai que ça malheureusement El Hajj, vous n’auriez pas un autre moins cher ? 25 dinars est un prix exorbitant pour un livre. Vous êtes au courant de l’inflation que connaît le pays, on n’a plus rien pour manger et vous vendez des livres à une telle somme !
– Mais je n’en ai pas d’autres mon fils. La vie est devenue difficile pour moi aussi, je dois subvenir aux besoins de toute la famille.
– Je prends alors ! Est-ce que je pourrai vous avancer tout de suite les 8 dinars et je vous rembourse le reste la prochaine fois ?
– Ah Ridha mon fils, tu me connais, je n’accepte pas le crédit. Regarde ce qui est marqué en bas de la caisse.
« Pas de crédit », lit Ridha en arabe.
– S’il vous plaît El Hajj, c’est pour Nadia. Elle vous aime beaucoup, vous savez? Elle ne veut acheter sa fourniture scolaire que chez vous même si el welda (notre maman) veut l’emmener au magasin général. Mais elle insiste pour venir ici. Elle dit qu’elle trouve toujours son bonheur entre ces murs.
– Elle a raison ! Je ne vends que des articles de qualité !
Ridha ricane intérieurement mais s’empêche de rire devant le vieux.
– Ok, fiston, vous pouvez l’avoir, mais ne m’oubliez pas hein ?!, se résigne El hajj.
– Ne vous inquiétez pas, répond Ridha, je passerai très prochainement.

Ridha passe le reste de sa soirée à feuilleter le manuel. Il essaie d’apprendre avec un grand effort quelques phrases : « Bonjour, je m’appelle Ridha. J’ai 25 ans. Comment tu t’appelles? Je vis ici avec ma famille… » Après multiples tentatives, il réussit à formuler une présentation correcte de lui. Il sort alors le bout de papier donnée par la blonde, regarde son écran, hésite, compose le numéro mais raccroche directement. Il le recompose encore une fois, murmure « allez, sois un vrai homme », mais raccroche aussi rapidement que la première fois. La scène se répète pendant une heure et demi. Il fait les cent pas dans sa chambre, puis se décide à vraiment rappeler. Le souffle coupé, il entend exploser son coeur au fond de sa poitrine. Le temps lui semble très long en attendant la première sonnerie. Mais c’est alors qu’il entend : « Ce numéro est non attribué. Nous vous présentons nos excuses et vous prions de rappeler ultérieurement ».

Il ne croit pas ses oreilles, vérifie le numéro sur le papier, c’est le même ! Il rappelle encore une fois et tombe sur le même message. Il réessaye encore pendant un quart d’heure, puis jette son téléphone, lâche des insultes et s’allonge nerveusement sur le lit.
« Ah la salope, elle m’a eu ! »

LA FIN

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